Rendez-vous 2020 : l’autorité des Écritures pour aujourd’hui

Les Rendez-vous de la pensée protestante ont été accueillis en 2020 au temple du Saint-Esprit à Paris les 26 et 27 juin


Argument

Temple du Saint-Esprit à Paris, les 26 et 27 juin 2020
par Alexandre Antoine, CA des RVPP

Comme beaucoup d’expressions du vocabulaire théologique, l’expression « autorité des Écritures » n’existe pas telle quelle dans le corpus biblique. Pourtant, le concept apparaît de manière permanente en filigrane au fil du texte. En effet, les auteurs bibliques écrivent dans le but de délivrer un message. Quel est-il et quelle en est la portée ? Les réponses données à ces questions n’ont pas manqué au fil de l’histoire : texte divin et inspiré, texte de religion, texte sur la religion, texte historique, texte éthique ou moral. Faut-il mettre des « et », des « ou », des « conjointement avec » entre ces approches énumérées de manière non exhaustive ? Ce qui est sûr, c’est que la question de l’autorité des Écritures ne peut être écartée d’un revers de la main en la considérant comme secondaire, surtout en théologie protestante. Le Sola Scriptura reste l’un des piliers de la Réforme. Par conséquent la question de l’autorité de ce texte se pose vu son importance dans la construction de la pensée protestante. Luther le dit avec clarté : « Nous n’accordons à l’Église aucune autorité qui dépasse l’Écriture » (WA 40 3, 434, 13).

Il convient maintenant de décomposer notre sujet afin de mieux en saisir les enjeux. La première expression est celle d’« autorité des Écritures ». La question des Écritures en elle-même pourrait être posée. Qu’entend-on par Écritures ? Quel canon ? A l’intérieur du monde protestant, la délimitation de ce dernier a longtemps fait consensus. Mais les recherches récentes sur Qumran, sur la Septante ou plus largement en critique textuelle ont soulevé des questions fondamentales sur la diversité du texte avant sa fixation et sur le processus de cristallisation du canon. En outre, le débat sur l’autorité à l’intérieur du canon porte sur le même type d’enjeux.

Le mot « autorité », quant à lui, est plus sujet à controverse. On fait souvent une distinction entre l’autorité et le pouvoir, l’autorité étant un pouvoir accepté et non-contraint. L’acception du mot et son étymologie peuvent être en outre une piste intéressante. Faut-il privilégier la compréhension grecque néotestamentaire des mots exousia et dunamis ? Faut-il s’attacher au contexte de réception marqué par la culture romaine et sa conception de l’auctoritas ? L’autorité du texte est-elle objective ou subjective ? Du côté de l’objectivité, on peut interroger le rapport entre les Écritures et leur contenu, en particulier le message de Jésus-Christ Sauveur. Le contenu des textes change-t-il la force de son autorité ? Suivant la pensée de Luther, y aurait-il des textes « de paille » ? Du côté de la subjectivité, la pensée protestante, précurseur des Lumières, pose dans tous les cas la question de l’individu face au texte sacré et donc de la réception de ce dernier, ou de son autorité acceptée ou non. Ajoutons qu’en matière d’autorité, on distingue différents niveaux et différentes sphères d’influence possibles.

Or justement, les niveaux d’autorité et leur influence dépendent généralement de la source de l’autorité. Ainsi, lorsque l’on parle de l’autorité des Écritures, on pose simultanément la question de l’origine du texte et de son auteur. Quelle est la source de l’autorité des livres bibliques ? On peut trouver à différentes reprises des textes bibliques qui sembleraient affirmer que ces derniers tireraient leur autorité de Dieu lui-même. L’un des passages les plus connus à ce sujet est le texte de la deuxième lettre de Paul à Timothée : « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice. » (version NBS) Peut-on recevoir cette affirmation telle quelle ? Quel est le lien entre Écritures et Parole de Dieu ? Les Écritures bibliques sont-elles parole divine, parole humaine, parole pleinement divine et humaine ? Les Écritures sont-elles un discours de Dieu ou sur Dieu ? Si on admet que l’Écriture est inspirée par Dieu, comment l’est-elle ? Où souffle l’Esprit Saint ? Dans le texte lui-même ? chez l’auteur du texte ? chez le lecteur du texte ? Son autorité ne se manifeste-t-elle que dans le kérygme par l’action de l’Esprit Saint ? Son autorité repose-t-elle sur l’ancienneté, l’historicité des auteurs ? Est-ce la réception du texte qui fonde son autorité, ce qui mettrait les questions de l’herméneutique au premier plan ? Ou peut-être l’efficacité concrète des textes bibliques, prouvée par des données expérimentales recensées comme miraculeuses, permettrait-elle d’éclairer cette question ? En définitive, quelle est la source de l’autorité des Écritures ?

Cette question, nous la posons « aujourd’hui ». Si le recours à l’histoire de la réception de cette notion nous aidera sûrement à mieux dessiner les enjeux de la question posée, c’est au présent que nous voulons parler. Notre monde contemporain met au défi notre compréhension de l’autorité des Écritures. Les enjeux sont bien là, sur au moins deux thèmes.

Le premier est la défiance face à l’institution et le recentrage sur l’individu. La modernité a mis au premier plan le « je ». Tout discours objectif est difficilement accepté. Il n’y a plus « la » vérité mais des vérités propres à chacun. La modernité met donc en concurrence la prétention du texte biblique à dire la vérité avec d’autres discours de vérité. Les discours scientifique, philosophique, archéologique, politique, sociologique sont acceptés comme des potentielles vérités à mettre en face du discours biblique. La question se pose : « Peut-on avoir un discours de vérité qui cherche à faire autorité dans notre monde moderne et si oui, les Écritures peuvent-elles être acceptées comme tel ? » De plus, qu’en est-il du rapport de concurrence entre une potentielle autorité des Écritures et l’autorité de textes législatifs propres à l’humanité, comme la Déclaration Universelle des Droits de l’homme ou toute constitution ? Qu’est-ce qui prime ? Le même enjeu concurrentiel se révèle dans un monde pétri de religions diverses et variées. L’autorité des Écritures prime-t-elle sur le Coran, la Torah, les textes de référence du bouddhisme ? Face aux enjeux de ce monde contemporain, en quoi notre rapport à l’autorité de l’Écriture influence-t-il nos prédications, nos engagements de société ?

Le second thème qui met en lumière les enjeux de notre problématique est celui de l’abus d’autorité. Dans un monde marqué par les fanatismes en tout genre et autres dérives sectaires, un discours d’autorité est-il recevable ? D’ailleurs les deux thèmes pourraient se recouper sur le champ plus large de l’herméneutique, de l’application des textes bibliques en lien avec leur autorité.

Nous terminons enfin en évoquant rapidement les perspectives qui pourraient s’ouvrir suite à la discussion sur un tel sujet. Autrement dit, que peuvent apporter une réflexion et une confrontation théologiques sur la question de l’autorité des Écritures au sein de la pensée protestante ? Nous voyons au moins deux perspectives se dessiner. La première est simplement celle de l’affinement de cette problématique. On peut se demander si les différentes approches et divergences d’opinion sur le sujet ont permis des avancées dans la compréhension de cet enjeu. L’autorité des Écritures a souvent été un élément scissipare au sein de la famille protestante. Mais dans la volonté de dialoguer ensemble, nos différentes conceptions aident-elles à mieux saisir les enjeux et la nature de cette autorité ? Ce dialogue permet-il des rapprochements entre nos théologies ou au contraire cristallise-t-il nos différences ? La seconde perspective est celle de s’enrichir de l’autre, dans l’idée que sa compréhension de l’autorité des Écritures nourrit la compréhension de sa foi. L’autorité des Écritures est une notion qui touche au cœur même du quotidien de la vie. En effet, elle influence notre éthique de vie, notre foi personnelle et notre piété. Les vies des différentes familles et dénominations protestantes sont -elles vécues différemment selon la conception de l’autorité des Écritures professée ? En outre, la découverte de la spiritualité des différentes franges du monde protestant pourrait-elle nous ouvrir d’autres perspectives ?


Thèses

Binômes de théologien.ne.s  issu.e.s de :

  • Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève
  • Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence
  • Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine
  • Faculté de théologie de l’Université de Genève
  • Faculté de théologie de l’Université de Strasbourg
  • Haute-Ecole de Théologie HET-PRO de Lausanne
  • Institut Protestant de Théologie – Paris
  • Institut Protestant de Théologie – Montpellier

Thèses d’Alexandre Antoine, Valérie Nicolet, Lovelink
Kwawu, Neal Blough
et Marie-Noëlle Yoder


Les thèses de Donald Cobb, Olivier Barrucand, André Birmelé et Elisabetta Ribet


Argument

Comme beaucoup d’expressions du vocabulaire théologique, l’expression « autorité des Écritures » n’existe pas telle quelle dans le corpus biblique. Pourtant, le concept apparaît de manière permanente en filigrane au fil du texte. En effet, les auteurs bibliques écrivent dans le but de délivrer un message. Quel est-il et quelle en est la portée ? Les réponses données à ces questions n’ont pas manqué au fil de l’histoire : texte divin et inspiré, texte de religion, texte sur la religion, texte historique, texte éthique ou moral. Faut-il mettre des « et », des « ou », des « conjointement avec » entre ces approches énumérées de manière non exhaustive ? Ce qui est sûr, c’est que la question de l’autorité des Écritures ne peut être écartée d’un revers de la main en la considérant comme secondaire, surtout en théologie protestante. Le Sola Scriptura reste l’un des piliers de la Réforme. Par conséquent la question de l’autorité de ce texte se pose vu son importance dans la construction de la pensée protestante. Luther le dit avec clarté : « Nous n’accordons à l’Église aucune autorité qui dépasse l’Écriture » (WA 40 3, 434, 13).

Il convient maintenant de décomposer notre sujet afin de mieux en saisir les enjeux. La première expression est celle d’« autorité des Écritures ». La question des Écritures en elle-même pourrait être posée. Qu’entend-on par Écritures ? Quel canon ? A l’intérieur du monde protestant, la délimitation de ce dernier a longtemps fait consensus. Mais les recherches récentes sur Qumran, sur la Septante ou plus largement en critique textuelle ont soulevé des questions fondamentales sur la diversité du texte avant sa fixation et sur le processus de cristallisation du canon. En outre, le débat sur l’autorité à l’intérieur du canon porte sur le même type d’enjeux.

Le mot « autorité », quant à lui, est plus sujet à controverse. On fait souvent une distinction entre l’autorité et le pouvoir, l’autorité étant un pouvoir accepté et non-contraint. L’acception du mot et son étymologie peuvent être en outre une piste intéressante. Faut-il privilégier la compréhension grecque néotestamentaire des mots exousia et dunamis ? Faut-il s’attacher au contexte de réception marqué par la culture romaine et sa conception de l’auctoritas ? L’autorité du texte est-elle objective ou subjective ? Du côté de l’objectivité, on peut interroger le rapport entre les Écritures et leur contenu, en particulier le message de Jésus-Christ Sauveur. Le contenu des textes change-t-il la force de son autorité ? Suivant la pensée de Luther, y aurait-il des textes « de paille » ? Du côté de la subjectivité, la pensée protestante, précurseur des Lumières, pose dans tous les cas la question de l’individu face au texte sacré et donc de la réception de ce dernier, ou de son autorité acceptée ou non. Ajoutons qu’en matière d’autorité, on distingue différents niveaux et différentes sphères d’influence possibles.

Or justement, les niveaux d’autorité et leur influence dépendent généralement de la source de l’autorité. Ainsi, lorsque l’on parle de l’autorité des Écritures, on pose simultanément la question de l’origine du texte et de son auteur. Quelle est la source de l’autorité des livres bibliques ? On peut trouver à différentes reprises des textes bibliques qui sembleraient affirmer que ces derniers tireraient leur autorité de Dieu lui-même. L’un des passages les plus connus à ce sujet est le texte de la deuxième lettre de Paul à Timothée : « Toute Écritureest inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice. » (version NBS) Peut-on recevoir cette affirmation telle quelle ? Quel est le lien entre Écritures et Parole de Dieu ? Les Écritures bibliques sont-elles parole divine, parole humaine, parole pleinement divine et humaine ? Les Écritures sont-elles un discours de Dieu ou sur Dieu ? Si on admet que l’Écriture est inspirée par Dieu, comment l’est-elle ? Où souffle l’Esprit Saint ? Dans le texte lui-même ? chez l’auteur du texte ? chez le lecteur du texte ? Son autorité ne se manifeste-t-elle que dans le kérygme par l’action de l’Esprit Saint ? Son autorité repose-t-elle sur l’ancienneté, l’historicité des auteurs ? Est-ce la réception du texte qui fonde son autorité, ce qui mettrait les questions de l’herméneutique au premier plan ? Ou peut-être l’efficacité concrète des textes bibliques, prouvée par des données expérimentales recensées comme miraculeuses, permettrait-elle d’éclairer cette question ? En définitive, quelle est la source de l’autorité des Écritures ?

Cette question, nous la posons « aujourd’hui ». Si le recours à l’histoire de la réception de cette notion nous aidera sûrement à mieux dessiner les enjeux de la question posée, c’est au présent que nous voulons parler. Notre monde contemporain met au défi notre compréhension de l’autorité des Écritures. Les enjeux sont bien là, sur au moins deux thèmes.

 Le premier est la défiance face à l’institution et le recentrage sur l’individu. La modernité a mis au premier plan le « je ». Tout discours objectif est difficilement accepté. Il n’y a plus « la » vérité mais des vérités propres à chacun. La modernité met donc en concurrence la prétention du texte biblique à dire la vérité avec d’autres discours de vérité. Les discours scientifique, philosophique, archéologique, politique, sociologique sont acceptés comme des potentielles vérités à mettre en face du discours biblique. La question se pose : « Peut-on avoir un discours de vérité qui cherche à faire autorité dans notre monde moderne et si oui, les Écritures peuvent-elles être acceptées comme tel ? » De plus, qu’en est-il du rapport de concurrence entre une potentielle autorité des Écritures et l’autorité de textes législatifs propres à l’humanité, comme la Déclaration Universelle des Droits de l’homme ou toute constitution ? Qu’est-ce qui prime ? Le même enjeu concurrentiel se révèle dans un monde pétri de religions diverses et variées. L’autorité des Écritures prime-t-elle sur le Coran, la Torah, les textes de référence du bouddhisme ? Face aux enjeux de ce monde contemporain, en quoi notre rapport à l’autorité de l’Écriture influence-t-il nos prédications, nos engagements de société ?

Le second thème qui met en lumière les enjeux de notre problématique est celui de l’abus d’autorité. Dans un monde marqué par les fanatismes en tout genre et autres dérives sectaires, un discours d’autorité est-il recevable ? D’ailleurs les deux thèmes pourraient se recouper sur le champ plus large de l’herméneutique, de l’application des textes bibliques en lien avec leur autorité.

Nous terminons enfin en évoquant rapidement les perspectives qui pourraient s’ouvrir suite à la discussion sur un tel sujet. Autrement dit, que peuvent apporter une réflexion et une confrontation théologiques sur la question de l’autorité des Écritures au sein de la pensée protestante ? Nous voyons au moins deux perspectives se dessiner. La première est simplement celle de l’affinement de cette problématique. On peut se demander si les différentes approches et divergences d’opinion sur le sujet ont permis des avancées dans la compréhension de cet enjeu. L’autorité des Écritures a souvent été un élément scissipare au sein de la famille protestante. Mais dans la volonté de dialoguer ensemble, nos différentes conceptions aident-elles à mieux saisir les enjeux et la nature de cette autorité ? Ce dialogue permet-il des rapprochements entre nos théologies ou au contraire cristallise-t-il nos différences ? La seconde perspective est celle de s’enrichir de l’autre, dans l’idée que sa compréhension de l’autorité des Écritures nourrit la compréhension de sa foi. L’autorité des Écritures est une notion qui touche au cœur même du quotidien de la vie. En effet, elle influence notre éthique de vie, notre foi personnelle et notre piété. Les vies des différentes familles et dénominations protestantes sont -elles vécues différemment selon la conception de l’autorité des Écritures professée ? En outre, la découverte de la spiritualité des différentes franges du monde protestant pourrait-elle nous ouvrir d’autres perspectives ?