Dieu, la théologie et le monde

La sixième édition des Rendez-vous de la pensée protestante auront lieu du 8 au 10 mars 2024 à la Faculté de Montpellier de l’Institut protestant de théologie.



  • 16h00 : CA
  • 18h00 : Accueil
  • 18h30 : AG de l’association
  • 19h00 : Aumônerie
  • 19h15 : Allocutions officielles
  • 19h45 – Cocktail dînatoire

Samedi 09

  • 9h00 : Aumônerie
  • 9h30 : Introduction générale et rappel de l’esprit et de la méthodologie des RVPP
  • 10h00 : Thèses 1 « ecclésiologie et interculturalité »
  • 11h15 : Travaux de groupe
  • 12h30 : Déjeuner
  • 14h00 : Thèses 2 « doctrine de la création, eschatologie et crise écologique »
  • 15h00 : Travaux de groupe
  • 16h00 : Pause
  • 16h45 : Aumônerie
  • 17h00 : Thèses 3 « sotériologie et pluralité des religions »
  • 18h00 : Plénière
  • 19h00 : Dîner
  • 20h30 – 22h00 : Soirée publique avec Jean-Louis Schlegel – Dominique Collin et Madeleine Wieger

Dimanche 10

  • 9h00 : Synthèse et débat
  • 10h30 : Culte au temple EPUdF de Maguelone
  • 13h00 : Déjeuner
  • 14h00 : Visite guidée du Montpellier protestant (sur inscription)

ARGUMENTAIRE autour du THEME de cette année

La théologie chrétienne noue un discours sur Dieu et un discours sur le monde. La manière d’articuler ces deux discours, voire de les faire découler l’un de l’autre, est fort variable selon les théologiens. Elle varie d’après la vision du monde que chaque théologien et théologienne adopte et ajuste dans la situation singulière où il ou elle se trouve. Elle varie aussi en fonction du poids de réalité conféré au monde envisagé par le théologien ou la théologienne d’une part et, d’autre part, au Dieu révélé en Jésus-Christ et à travers les Écritures.

La théologie contemporaine perçoit sans doute plus finement que jadis combien son discours n’est pas absolu – au sens étymologique du mot : dégagé –, mais, au contraire, engagé et enchâssé dans une expérience du monde aussi bien que dans une expérience de Dieu. De cette expérience, si variable et instable soit-elle, le théologien et la théologienne ne peuvent pas faire entièrement abstraction : elle contribue à paramétrer son discours. Le plus élémentaire de ces paramètres, par exemple, est la nécessité pour le discours théologique de s’élaborer dans une des langues humaines.

Il ne s’agit pas là, dans un premier temps, d’une découverte proprement théologique. On peut sans doute évoquer des raisons spécifiques à la théologie chrétienne pour lesquelles son discours ne saurait être qu’ainsi incarné. Mais ce constat vaut d’abord pour l’ensemble des sciences humaines : il relève d’une réflexion sur les facteurs qui conditionnent le discours scientifique à propos de l’humain et du monde. Il accompagne une double prise de conscience : le monde et l’expérience qu’en fait l’humain ne sont pas monolithiques ; la lecture qu’en donne le chercheur ou le penseur est limitée parce qu’elle est située. De cette prise de conscience procède l’élaboration de nouvelles catégories qui font aussi leur entrée en théologie : herméneutique et interprétation – méthodes inductive, déductive ou corrélative – contextualisation – acculturation, inculturation et interculturalité – pluralité et pluralisme –, etc. L’usage de ces catégories indique, de diverses manières, que le spécialiste d’une science humaine ne prétend plus analyser le monde de l’extérieur : il étudie notre monde dans la conscience qu’il en fait lui-même partie et que son regard sur les choses est conditionné par l’époque, le lieu, la culture, les structures sociales dans lesquels il vit, et par son histoire personnelle.

La transposition de ces catégories en théologie ne va pas de soi, parce que le discours théologique, en régime chrétien, n’est pas seulement descriptif. Il a aussi un caractère kérygmatique, normatif et systématique, sans doute en raison de son objet : le monde, certes, mais aussi le rapport qu’entretient, avec ce monde pluriel et changeant, un Dieu présenté comme unique et universel. Qui plus est, la théologie chrétienne affirme que ce Dieu s’est révélé : il s’est donné à connaître, mais sur le mode spécifique de la révélation, qui pourrait échapper aux limites habituelles de la connaissance humaine en donnant accès à une vérité que la simple raison ne saurait percevoir.

Dès lors, il ne va pas de soi qu’on doive se résoudre à ne plus parler de Dieu lui-même, au motif que nous serions en mesure de décrire tout au plus l’expérience que nous en faisons. D’un autre côté, le théologien et la théologienne n’échappent pas, dans la production de leur discours, à la condition qui est celle de toute intelligence humaine du monde, de Dieu ou d’autre chose. Par ailleurs, s’ils veulent encore s’adresser au monde, et non pas seulement à quelques initiés, le théologien et la théologienne ne peuvent pas faire l’économie d’une analyse de ce qu’est pour eux le monde et de la manière dont leur discours s’y rapporte.

La réflexion des sciences humaines sur les conditions dans lesquelles s’élabore leur discours sur l’humain et le monde constitue de la sorte une gageure pour la théologie. Le théologien et la théologienne ne sont pas seulement mis au défi d’adapter le discours sur le Dieu de Jésus-Christ aux préoccupations humaines de chaque temps et de chaque lieu – ce qu’on appelle « actualisation ». Ils sont plus fondamentalement interpelés quant à la méthode même qu’ils mettent en œuvre pour parler de Dieu, du monde et du rapport qu’ils entretiennent, et pour en parler depuis l’intérieur du monde. Comment notre être au monde influence-t-il notre manière de faire de la théologie ? Comment le théologien et la théologienne ressent-il et intègre-t-il les limites de son humanité dans sa façon de penser Dieu ? Que font-ils des réalités mondaines qui résistent à leur discours et ne s’y laissent pas intégrer immédiatement ? S’ils sont créatures parmi les créatures, s’ils habitent le monde plutôt que de le fuir ou de vouloir à toute force le façonner à leur idée, s’ils admettent que ce monde les précède et qu’ils en font partie, quel type de réflexion théologique peuvent-ils ou doivent-ils produire ?

Le théologien et la théologienne sont alors conviés à expliquer, à eux-mêmes et pour leur lecteur, quel est « leur » monde :

  • quel statut le théologien ou la théologienne donne-t-il au monde et à son expérience du monde ? ont-ils une fonction de régulation du discours théologique ? en seraient-ils même la norme ? tiennent-ils lieu de source du discours théologique, au même titre que les Écritures, par exemple ? sont-ils, au contraire, toujours soumis au soupçon, parce que « le monde », sur le plan théologique, serait une réalité connotée négativement, marquée par le mal et par le péché ?
  • inévitablement, l’expérience du monde qui est celle du théologien et de la théologienne circonscrit leur discours – mais jusqu’à quel point cette expérience doit-elle paramétrer leur discours ? y a-t-il une limite infranchissable, à ne pas dépasser sous peine de dénaturer ce qu’est le christianisme ? si oui, laquelle, et pourquoi ?
  • quels aspects du monde peuvent être laissés au rang de simple fait historique contingent ? quels aspects du monde pourraient, voire devraient devenir un objet de réflexion théologique ? selon quels critères le théologien et la théologienne font-ils le tri entre les uns et les autres ?
  • la pluralité des régimes mondains de vérité est-elle le signe d’un déficit, voire d’un péché ? ou signale-t-elle plutôt les limites inévitables de l’intelligence humaine – y compris de l’intelligence humaine de Dieu –  auxquelles il faut se résigner ? ou encore serait-elle le reflet d’une révélation plurielle de « Dieu » ? en ce cas, de quel « Dieu » parle-t-on ?
  • pour qui le théologien et la théologienne parlent-ils ? tiennent-ils leur discours dans le monde et pour le monde, ou au contraire face au monde, voire contre le monde ? ou les deux ? leur faut-il contribuer au bien commun ?

Sans doute les positions théologiques sur ces différents points se situent-elles entre deux extrêmes.

À un extrême, il y aurait un discours théologique qui fonctionnerait en vase clos, saturé d’évidence divine au point d’en devenir presque ésotérique, se jugeant d’autant plus purement théologique qu’il se maintiendrait à l’écart de toute influence mondaine, creusant son sillon en s’exposant au monde le moins possible et en en proposant une critique radicale. L’influence du monde sur le théologien ou la théologienne s’exercerait sur le mode d’une provocation au rejet. Le monde n’y serait jamais conçu comme l’instance de manifestation d’une quelconque vérité, mais plutôt comme l’objet de la menace permanente du mal. Pareil discours serait une tentative de penser Dieu sans le monde, ou plutôt contre le monde.

À l’autre extrême se situerait un discours dont on se demanderait à quel point il est encore théologique : la référence à Dieu y serait absente au motif que Dieu échappe aux conditions humaines de la connaissance. La théologie deviendrait une analyse du phénomène purement humain qu’est la religion, considéré dans sa pluralité impossible à problématiser, puisqu’elle serait envisagée uniquement comme le contexte indépassable de l’exercice du discours théologique aujourd’hui. L’influence du monde sur le théologien ou la théologienne serait telle que ce monde deviendrait l’unique objet de son discours, l’unique porte d’entrée pour un discours sur un « Dieu » sans véritable altérité. Il n’y aurait personne d’autre à écouter que le monde. Ce serait là une tentative de penser le monde sans Dieu.

Entre ces deux extrêmes, le spectre est vaste et les RVPP 2024 seront l’occasion de l’explorer, aussi bien que de contester au besoin pareille topographie du débat. Pour que la réflexion commune sur le degré de porosité de la théologie par rapport au monde ne demeure pas purement théorique, il vous est proposé de vous saisir d’un des thèmes suivants (sans que l’ordre des mots ici proposé induise une prééminence) :

  • doctrine de la création, eschatologie et crise écologique,
  • sotériologie et pluralité des religions,
  • ecclésiologie et interculturalité.

Il s’agit d’exposer votre position sur un de ces sujets en montrant si et comment les termes qui le composent s’informent mutuellement lorsque vous entreprenez de les penser. L’enjeu n’est pas de faire ressortir ce ou Celui au nom de quoi vous agiriez dans le monde, en exposant les motivations théologiques d’un engagement éthique concret (« je trie mes déchets parce que Dieu a créé le monde »), mais de déterminer en quoi votre réflexion proprement théologique sur la création et l’eschatologie, sur le salut ou sur l’Église reflète une vision du monde et, inversement, comment votre perception du monde est susceptible d’infléchir votre discours théologique.

Le débat ferait apparaître ce qui demeure parfois implicite, voire impensé : les présupposés du théologien ou de la théologienne – non pas ce qu’il croit, mais ce qu’il « croit savoir », ce qui se présente à lui comme évident dans son expérience du monde et comme incontournable dans sa perception du Dieu de Jésus-Christ. Dans les réalités mondaines que sont – par exemple – les grandes religions mondiales, les liens croissants entre personnes de cultures différentes ou la dégradation de notre habitat naturel, quels faits, quels éléments s’imposent d’évidence au théologien en tant que théologien (et non en tant que militant de telle cause ou humaniste engagé) ? qu’est-ce qui peut ou doit entrer dans son champ de réflexion ? comment le théologien et la théologienne confrontent-ils ces faits aux sources ordinaires du discours théologique que sont les Écritures et les traditions confessionnelles ?

Nous vous convions à proposer une entrée en matière pour l’un des trois sujets envisagés, en faisant voir comment vous choisissez les briques qui servent de matériau à votre travail théologique et de quelle manière vous les disposez les unes par rapport aux autres. La tâche de vos interlocuteurs sera de dialoguer avec vous sur l’articulation que vous aurez faite entre une vision du monde et une vision de Dieu. Puis, à votre tour, vous effectuerez sur le même mode une relecture de la position de vos partenaires de débat.